Donner ses fichiers raw au client, c’est ok ?

Vous venez de passer la journée en studio avec votre client·e et ensemble, vous avez réalisé des images fabuleuses. Vous êtes particulièrement fières : la lumière brille de mille feux, le stylisme est on-fleek, les produits sont super bien mis en valeur et tout le monde s’est beaucoup amusé sur le set. ✨

Mais voila, l’heure de remballer le matériel arrive et votre client·e se pose devant vous avec une demande électrique : “Serait-il possible d’avoir les fichiers raw, svp ?

ZGLOUPS. 😬

Coup de stress, cerveau en ébullition : “que vais-je bien pouvoir répondre ? Est-ce que j’ai le droit de les transmettre ? Est-ce que j’ai vraiment envie qu‘iel voit mes photos sans retouches ? Et si je dis non, que va t-iel penser de moi ? ” 🤯

Pour éviter de se rouler en boule dans un coin, voici quelques éléments pour prendre votre décision. Parce que OUI, contrairement à ce qu’on peut lire un peu partout, c’est bien VOTRE décision en tant que photographe.

Idée reçue n°1 : Donner ses photos brutes, c’est se mettre en danger

Concernant les fichiers raw, on lit un peu partout qu’il faut les garder très précieusement, dans un écrin en velours fermé à clé. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient l’unique moyen de prouver qu‘on es bien l’auteur·e d’une photo.

(Ce qui, soit dit en passant, élimine l’ensemble des photographes et artistes qui ne travaillent qu’avec des JPEG… Ou les ayants-droits. Mais passons.)

Je l’expliquait précédemment dans un article ›, il y a plusieurs façon d’attester des droits sur une photo et la simple détention d’un fichier non-retouché ne suffit pas. C’est un plus, mais c’est tout. Il est aussi possible de prouver que l’on est l’auteur·ice d’une photo en gardant une version jpeg compressée des images hors sélection et des backstages, en incorporant nos coordonnées dans les métadonnées, en faisant un dépôt auprès de l’INPI, en travaillant avec des contrats et des cessions de droits, etc.

Détenir un fichier raw ne fait pas de vous l’auteur·ice de l’image d’office. Des centaines de photographes transmettent des fichiers bruts à des fins pédagogiques par exemple et ca ne fait pas d’elleux des sous-photographes pour autant.

De toute manière, quand on doit dénoncer un vol de photo, c’est rarement contre un·e collègue qui se fait passer pour nous (ca arrive mais il est facile de prouver le contraire, les parasites étant souvent très médiocres). Plus souvent, l’action en justice se fera contre une entreprise ayant utilisé nos images sans autorisation. Et là, ce sera la question de l’existence même de droits d’auteurs qui sera soulevée, avec l’apport de la preuve de l’originalité à faire de notre part. Dans ce cas, le raw ne nous servira à rien.

Idée reçues n°2 : les client·es ne peuvent pas les afficher

L’argument est ici plus sérieux et conviendra parfaitement aux photographes travaillant avec des particuliers. Un fichier raw n’est qu’un fichier d’information et non une image. Pour être visible en tant qu’image, le raw à besoin d’être interprété par un logiciel qu’on appelle dématriçeur ou dérawtiseur (par exemple Camera Raw, Darktable, etc). Sans un logiciel de ce type, il est impossible d’afficher un fichier raw.

Certains OS et certains outils (aperçus ou visionneuses d’images) commencent à intégrer des dématriçeurs très légers. Mais même si ces derniers permettent de donner une vague – très vague – idée de l’image que pourrait donner le fichier raw, ils ne sont pas du tout précis et d’un outil à l’autre afficheront une image radicalement différente et assez aléatoire.

La plupart de notre clientèle n’aura donc ni le logiciel adéquat ni les compétences techniques pour développer ce type de fichier. En livrant des photos retouchées et exportées, vous fournissez à votre contact un produit finalisé, propre, qu’il pourra utiliser ensuite très facilement.

Cependant, rester sur ces affirmations occulte une graaaande partie du métier de photographe : la photo appliquée, corporate, publicitaire, à destination des entreprises et des marques. Il est commun dans l’industrie de la publicité de séparer le rôle de photographe de celui de retoucheur·se. Certaines agences de com’ et certaines entreprises possèdent les compétences en interne et demanderont donc les fichiers bruts afin de les transmettre à leur propre service retouche ou pour externaliser.

Il y a deux très bonnes raisons à cela :

  • une société spécialisée dans la retouche telle que Granon Digital, Picto ou Sheriff à Paris, assure aux entreprises excellence et rapidité. En effet, leurs retoucheurs et retoucheuses ne font que ça de leurs journées. Ces sociétés assurent un flux de production bien plus efficace et précis que ce que peuvent proposer les photographes. Prise de vue et retouche sont deux compétences à part qu’il est possible de séparer sans en faire une question de sécurité nationale.
  • la marque peut avoir besoin d’un contrôle particulier sur l’esthétique des images et en ayant les ressources et les process en interne, elle gagnera en agilité et en temps. Fair enough.

Idée reçue n°3 : l’image n’est pas terminée avant la retouche

Proposer à notre client·e une photographie retouchée et finalisée est preuve de professionnalisme et démontre pleinement nos compétences. Fournir uniquement les fichiers retouchés nous permet également de maintenir une certaine consistance dans notre portfolio en affirmant notre style et notre vision.

Si notre client·e partage le raw ou une version mal retouchée de celui-ci, c’est notre réputation qui en prend un coup et des prospects pourraient se faire une mauvaise opinion de notre travail. Dommage.

Mais encore une fois, dans le secteur de la photo commerciale ou de la mode, ce n’est pas inhabituel de transmettre les fichiers originaux. D’autant que c’est notre travail de photographe de nous aligner sur l’esthétique de la marque, et que les retoucheur·ses suivent une direction donnée par la marque ou lea photographe, et plus souvent par les deux.

Si vraiment cela vous gène d’être totalement exclu·e de la post-production, négociez ! Négociez de vous charger de la chromie avant/après que l’agence de retouche soit passée pour nettoyer l’image et faire les compositings.

Best of both world

Une source de revenus supplémentaires

Il est donc tout à fait envisageable de fournir les fichiers bruts sans pour autant finir, comme l’anneau unique, dans les tréfonds de la montagne du destin.

Fournir nos raws peut être une décision stratégique, en fonction du profil client ou de la nature du projet. Être en capacité de répondre favorablement à ce type de demande permet de bâtir une relation de confiance avec votre clientèle, dans laquelle chaque partie apporte sa vision pour créer un produit final unique. Et ne parlons pas du gain de temps !

Proposer des fichiers bruts en tant que service complémentaire est de plus une source de revenus considérable ! Il s’agit simplement de trouver un équilibre qui garantisse à la fois notre intégrité artistique et la contribution créative de la marque.

→ La prochaine fois qu’on vous demande vos fichiers raw : ne vous offusquez pas, et demandez simplement plus d’informations.